Linux représente aujourd'hui un courant fort dans
l'industrie du logiciel. Né de la volonté
de centaines de programmeurs pour développer des
logiciels gratuits et libres, ce système d'exploitation
est désormais appuyé par de grandes entreprises.
IBM en fait partie. Irving Wladawsky-Burger détaille
ici sa stratégie et sa vision de l'avenir du logiciel
libre.
Propos recueillis et traduits le 25 avril 2000
par Ludovic
Blin
JI:
Pourquoi supportez vous Linux ?
Irving Wladawsky-Berger: Nous "ressentons"
Linux comme l'évolution de notre stratégie
Internet et e-business. Celle-ci consiste à nous
appuyer sur les standards qui facilitent l'intégration,
l'intéropérabilité, le portage et le
développement des applications. Nous pensons que
Linux est une partie importante de cette culture. Il est
donc naturel pour nous d'adopter Linux et le mouvement Open
Source.
Linux fait-il partie de vos objectifs stratégiques
?
Absolument.
L'adoption de Linux chez IBM est une direction majeure pour
nous: nous voulons supporter Linux sur toutes nos plates-formes
matérielles, que ce soit les postes clients ou les
serveurs, mais aussi sur tous nos logiciels (serveurs d'application,
serveurs de transaction, bases de données, administration
de systèmes, etc.). Ensuite, nous voulons créer
des plus en plus de services autour de Linux. C'est une
stratégie importante pour nous car nous pensons que
c'est une tendance importante du marché.
A quelle clientèle destinez-vous
votre offre Linux ?
Initialement, Linux est très populaire dans plusieurs
communautés: en premier lieu la communauté
Internet, constituée par les développeurs
d'applications Internet, les fournisseurs d'accès,
les ASP, etc. Deuxièmement, Linux est aussi apprécié
dans le monde des réseaux, par tous les gens qui
construisent des réseaux plus fonctionnels et plus
intelligents, comme par exemple les réseaux sans
fil qui nécessitent des fonctions de transcodage,
pour lesquelles Linux est très bien adapté.
Troisièmement, il y a le monde des "appliances"
(des appareils électroniques, ndlr) ou
personne ne se préoccupe de savoir quel système
tourne dans la machine. Linux est très bon dans ce
cas là car c'est un système pleinement fonctionnel
mais son empreinte est suffisamment légère
pour le mettre dans un client embarqué. Quatrièmement,
il y a le monde des supercalculateurs scientifiques (laboratoires,
universités, etc.) ou Linux est très populaire.
Quels
sont vos principaux concurrents ?
Je pense
que les concurrents vont venir de deux directions: les vendeurs
de serveurs PC comme Compaq, Dell et ensuite les sociétés
spécialisées dans Unix, comme Hewlett-Packard
ou Silicon Graphics. Les distributeurs Linux ne sont pas
nos concurrents, ils sont nos partenaires.
Comment
vos activités Linux s'intègrent-elles dans
votre offre globale e-business ?
Nous
voulons établir un environnement de développement
commun qui pourrait être partagé par tous les
vendeurs de logiciels. Les développeurs ne perdront
ainsi plus de temps à apprendre les différents
systèmes et pourront se concentrer sur les applications.Ce
qui est bien avec Linux, c'est qu'il est possible de séparer
développement et déploiement : on peut ajouter
des interfaces de compatibilité Linux sur d'autres
systèmes. C'est important, car aujourd'hui, d'énormes
quantités d'énergie sont gâchées
par le portage des applications de plate-forme à
plate-forme. Une des principales raison d'utiliser Linux
pour le e-business réside dans l'intégration
des systèmes d'information. Celle-ci nécessite
de plus en plus de fonctions intelligentes, qui nous le
pensons, sont amenées à devenir Open Source.
Comment
travaillez-vous avec la communauté Open Source ?
Nous
travaillons avec plusieurs communautés Open Source.
Par exemple, nous collaborons avec la communauté
Apache depuis quelques années maintenant. Ainsi Websphere
est bâti à partir d'Apache qui en est la couche
HTTP. Aussi nous contribuons aux travaux de la communauté
en développant par exemple un système de fichier
ou une machine virtuelle Java, ou encore un parser XML.
Quel
est, selon vous, le rôle d'XML ?
XML
est un standard pour l'échange de données,
de documents. XML introduit une structure dans le document,
qui permet ensuite de le manipuler. C'est un élément
critique de l'intégration des processus du business,
qui permet traiter ces documents automatiquement, sans que
personne n'intervienne. XML est la clé du commerce
électronique, spécialement entre entreprises.
Allez-vous
développer votre propre distribution, votre propre
version de Linux ?
Non.
Nous n'avons pas de plan dans ce sens. Il y en a déjà
tellement dans le monde. Nous voulons travailler avec les
plus grands distributeurs et ensuite apporter une valeur
ajoutée. Nous voulons être partenaires avec
les distributeurs.
Le
marché Linux est plus orienté vers les serveurs.
Que pensez-vous des clients basés sur Linux ?
Linux se comporte très bien dans les
clients dédiés et embarqués (organiseurs,
téléphones portables, autoradios, baladeurs,
chaîines-hifi, etc.) grâce à ses fonctionnalités
avancées, sa fiabilité et sa faible empreinte.
Mais dans le domaine des ordinateurs personnels, Windows
reste très présent. Le point important dans
le domaine des clients et des "appliances" va
être la gestion de la complexité par le système,
car les gens ne veulent pas avoir à se préoccuper
des problèmes informatiques.
Linux
tourne maintenant aussi sur les mainframes. Pensez-vous
qu'il deviendra le système d'exploitation unique
dans les années à venir ?
Non.
Je ne pense pas. Je pense que Linux deviendra un système
d'exploitation important, peut-être le plus important.
Mais il y aura toujours des fonctions pour lesquelles un
autre système sera plus adapté. De plus, nous
pouvons imaginer qu'un jour viendra où le kernel
(le noyau) de Linux divergera. En effet, il n'est pas évident
qu'un supercalculateur et un baladeur MP3 aient le même
noyau.
Irving
Wladawsky-Berger est titulaire d'un doctorat de physique
de l'université de Chicago. Il est membre de plusieurs
conseils scientifiques aux Etats-Unis dont le President's
Information Technology Advisory Council et National Research
Council. Il a commencé sa carrière chez
IBM en 1970 dans le centre de recherche Thomas J. Watson
ou il s'occupait du lien entre la recherche et la production.
Depuis 1995, il est chargé de la stratégie
globale d'IBM dans le domaine de l'Internet.
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